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Éducation à la paix, souvenir du passé et imagination du futur

 

Bulletin de la section romande de Pax Christi, 18 zk., 1985-11

 

      Le Mouvement Pax Christi vient de célébrer son quarantième anniversaire. Toujours fidèle à ses objectifs premiers, il a continué de travailler dans sa triple ligne —spirituelle, intellectuelle et pratique— en faveur de la réconciliation des peuples et de l'instauration de la Paix dans le monde.

      Même si la situation historique s'est profondément modifiée depuis les premières rencontres catholiques de l'après-guerre, la tâche de Pax Christi n'a rien perdu de son importance dans un monde comme le nôtre, hanté par la menace de la guerre nucléaire et la division en deux blocs hostiles.

      Les faits montrent que les haines résiduelles de la seconde guerre mondiale ne sont pas encore entièrement éteintes. Un accord comme celui demandé tout récemment par M. Honecker, c'est-à-dire, «une pleine reconnaissance des réalités politiques et territoriales issues de la seconde guerre mondiale», est presque impensable dans l'horizon historique actuel. Le revanchisme renaît constamment et même une sorte de nouvel hitlérisme pourrait surgir, si les démocrates n'arrivent pas à surmonter leur impuissance à bâtir la paix.

      Menées par une sorte d'atavisme, les nouvelles générations pourraient reproduire les horreurs du passé, et même les dépasser.

      C'est pourquoi la leçon de la guerre et de l'après-guerre est un élément essentiel de l'éducation pour la paix.

      Il faut reconnaître que le geste de réconciliation et d'oubli amorcé par Ronald Reagan et Helmut Kohl le dernier 5 mai à Bergen-Belsen et à Bitbourg est loin d'avoir réussi. Ni les discours politiques des deux chefs d'État, ni les poignées de main entre les généraux Ridgway et Steinhoff, ni les fleurs sur les tombeaux des combattants des deux côtés, ont suffi pour dominer le malaise soulevé, un peu partout, par ces cérémonies.

      La vraie réconciliation n'est pas aussi simple que cela. Ce n'est pas par le simple oubli ou par une espèce d'indifférence morale, mettant la mémoire des bourreaux sur le même plan que celle des victimes, qu'on arrivera à former la conscience des jeunes pour éviter les guerres futures.

      Â«Ni haine ni oubli», pouvait-on lire dans les banderoles portées par des jeunes juifs qui ont participé à une marche de protestation sur Bitbourg à l'occasion de la visite de Reagan. Et c'est vrai. Ce qu'il faut rejeter c'est la haine. Le souvenir est, par contre, nécessaire, à condition qu'il soit accompagné d'un jugement moral correct.

      Â«Nous avons appris la leçon de l'Histoire», ont déclaré, chacun à son tour, le président américain et le chancelier ouest-allemand.

      Â«Ici la mort a régné —a dit Ronald Reagan— mais nous avons appris quelque chose. À cause de ce qui s'est passé, nous avons appris que la mort ne peut pas régner pour toujours. Nous sommes ici aujourd'hui pour rappeler que l'horreur ne peut pas bannir l'espoir».

      C'est beau, sans doute, mais il est difficile de croire à la sincérité de ces paroles quand on sait que l'Amérique et la Russie possèdent en ce moment un mégatonnage nucléaire trois cent mille fois supérieur à celui de la bombe d'Hiroshima!

      C'est la présence des armes nucléaires qui produit la nouveauté radicale de la situation actuelle par rapport au problème de la paix. L'arme nucléaire est devenue l'ennemi commun de l'humanité, sans distinction de peuples ni d'idéologies, sans visage et sans âme, qui dicte constamment ses ordres silencieux sur toute sorte de questions, à la table des superpuissances.

      De nos jours, la lutte pour la paix se centre surtout sur la lutte contre les armes nucléaires et post-nucléaires: comment les supprimer, comment les faire disparaître de l'espace terrestre et sub-lunaire?

      Les nouvelles générations doivent arriver à se défaire de ces armes. Mais, comment le faire?

      De ce point de vue l'éducation pour la paix ne peut pas se fonder exclusivement sur les leçons du passé. La mémoire et l'expérience n'y suffisent pas: il faut absolument de l'imagination créatrice.

      Le grand paradoxe de la situation actuelle est que le pouvoir nucléaire reste entre les mains d'une classe politique mondiale Est-Ouest qui continue à penser les problèmes politiques et internationaux avec une mentalité pré-atomique.

      C'est, para exemple le cas du général De Gaulle, personnalité extraordinaire dont on ne saurait nier la valeur exceptionnelle, mais qui a peut-être pensé sa «force de frappe» à partir d'une conception bonapartiste de la paix européenne. Et que dire des dirigeants américains et soviétiques, sinon qu'ils manquent d'imagination pour sortir de l'impasse et qu'ils continuent à discuter la guerre précédente, comme l'on toujours fait —à ce qui paraît— les états majors, «en retard d'une guerre».

      Il faut espérer que les jeunes se rendent compte du besoin de dépasser une vision de la paix et de la guerre absolument périmée dans l'ère nucléaire. Si l'horreur du passé ne doit pas bannir l'espoir du futur, comme l'a dit Ronald Reagan dans son discours de Bergen Belsen, c'est-à-dire, si les jeunes d'aujourd'hui ont le droit d'espérer, il faut qu'on les éduque, non seulement dans le souvenir des horreurs, mais aussi dans l'espoir effectif et réalisable d'un monde dénucléarisé.

 

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