Karlos Santamaria eta haren idazlanak

 

L'Espagne à la recherche d'institutions politiques

 

La Croix, 1952-10-29

 

      Le championnat de la Ligue de football vient de recommencer et il suscite, sans doute, l'intérêt prépondérant du peuple espagnol. Selon une enquête de l'Institut de l'opinion publique —institution officielle dépendant du ministère de l'Information,— le football est le sujet préféré des Espagnols plus encore que les taureaux; 29 pour 100 et 19 pour 100 des entretiens au salon de coiffure, un des endroits ou les Espagnols semblent s'exprimer à leur aise.

      Cette prépondérance des sports, ou plutôt des spectacles sportifs, préoccupe beaucoup les gens réfléchis. Au fond le «panem et circenses» est ici, comme ailleurs, la consigne d'une grande partie de la jeunesse.

      Cela ne veut pas dire que les thèmes politiques n'intéressent pas du tout, mais il est vrai qu'une atonie générale assez inquiétante se manifeste en ce sens dans tous les milieux, surtout parmi les jeunes gens, et qu'elle ne laisse pas d'éveiller l'attention des dirigeants politiques.

      Le phénomène admet différentes interprétations, selon les nuances des observateurs: certains croient trop volontiers qu'il est un avantage et une démonstration de la solidité du régime et de la paix et du bien-être qui règnent dans tout le pays. D'autres, au contraire, pensent que cette apathie sociale ne favorise pas les affaires politiques et certains, parmi les ennemis les plus acharnés du régime, vont jusqu'à affirmer, sans trop de fondement évidemment, que ce calme n'est qu'un prélude à l'orage qui se prépare.

      En tout cas, une évolution politique normale exigerait une plus grande collaboration des citoyens. Le gouvernement semble désirer et rechercher cette collaboration, mais l'autoritarisme chasse, en général, la participation du citoyen.

      Récemment, le journal phalangiste Arriba soulignait la nécessité de renforcer d'une façon effective la «ligne représentative» dans les syndicats. Ceux-ci n'auraient aucun intérêt pour nous —disait le journal— si on n'arrivait pas à en faire quelque chose d'authentiquement représentatif: c'est justement dans ce sens qu'ils peuvent contribuer à l'organisation de l'Etat.

      De son côte, le ministre M. Arias Salgado demandait aux journalistes, dans un discours au Congrès régional de presse de Barcelone, d'entamer un dialogue, de présenter des suggestions et des arguments sur les questions d'intérêt national.

      Le journal ABC, en reprenant cette invitation, affirmait que «même si tous les problèmes étaient déjà résolus, un dialogue continuel sur les multiples questions nouvelles qui se présentent chaque jour serait tout á fait nécessaire». Le journal critiquait, comme ridicule et grotesque, l'attitude des journalistes conformistes qui remplissent leur fonction d'une façon servile et se bornent à tout accepter sans discussion. Avouons, toutefois, que ce dialogue, prôné par le ministre dans son discours, n'est pas facile dans l'ambiance actuelle.

      Une des voix les plus autorisées parmi les catholiques laïcs favorables au régime a rappelé aussi récemment la nécessité «d'institutionnaliser» l'Etat. C'est un problème qui se pose dans certains milieux responsables, du fait que, treize ans après la fin de la guerre, le manque d'institutions politiques solides est trop évident.

      Personne ne saurait définir le régime actuel d'une façon satisfaisante [?] car il présent [?] réussi dans une certain mesure jusqu'à présent, il ne l'est pas moins qu'elle peut conduire le pays, un jour ou l'autre, à une catastrophe tout à fait imprévue pour ses dirigeants actuels.

      Aucun besoin immédiat ne pousse actuellement le chef espagnol à un changement de système. Le «ne bougeons pas» est considéré, par beaucoup d'Espagnols, comme la formule idéale en ce moment. («Ne pas changer dans un temps de confusion», n'est-ce pas aussi le conseil de sainte Thérèse?) Mais cela ne suffit pas, évidemment, pour expliquer l'atonie et l'immobilité politique du pays.

      On prête au général Franco l'idée de proclamer le prince Juan Carlos —le fils de don Juan— successeur sur le trône, maintenant vide, de ce royaume sans roi. Le prince devrait être élevé dans le climat du régime et préparé pour être le continuateur du Caudillo, quoiqu'il semble que les monarchistes accepteraient avec beaucoup de difficultés ces conditions.

      L'avenir est donc tout à fait incertain dans ce pays, mais au fond la certitude n'est pas plus grande ailleurs et tout le monde vit dans une insécurité cosmique. Pour les chrétiens, cela est sans doute une occasion de mettre à l'épreuve leur providentialisme..., à condition, naturellement, qu'on n'exagère pas et qu'on ne canonise pas trop facilement certains prophétismes particuliers.

 

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