Carlos Santamaría y su obra escrita
Obediencia y libertad de los católicos
Documentos, 17 zk., 1954
Ce n'est pas certainement par hasard, chers lecteurs, que les Conversations de Saint Sébastien vous proposent de réfléchir sur le thème de l'obéissance. Même, avant certains événements récents que nous avons tous dans la mémoire, le sujet était déjà actuel.
Tous les temps ont connu des faits d'insoumission et de révolte, devenus parfois historiques, mais peut-être la notion même de l'obéissance n'avait-elle jamais été aussi compromise que dans le monde d'aujourd'hui.
Dans notre temps, la révolte, est souvent considérée comme la source profonde et créatrice de la vie humaine, l'attitude fondamentale de l'homme, tandis que l'obéissance est plutôt pensée, comme un appauvrissement, une manifestation négative et destructive de la personnalité.
Sans aller jusqu'à l'extrême d'Albert Camus et de son «Homme révolté», on pourrait constater, même dans nos milieux chrétiens, des tendances prophetistes pareilles à celles des Bégardes du Moyen Age, qui se déclaraient exemptes de toute obéissance à l'État ou à l'Église, sous prétexte que l'Esprit les avaient rendu libres.
La norme suprême de l'homme contemporain est celle d'être soi-même, de n'accepter aucune contrainte, aucune force étrangère à la propre volonté. La nouvelle morale est la morale de situation (que le Pape a blâmé dans son discours aux jeunesses féminines catholiques), l'éthique existentialiste qui n'admet pas de règles extérieures au sujet. Dans ces conditions là l'obéissance représente une forme de servitude ou d'aliénation propre d'hommes timides, bornés, résignés à leur petitesse et même, du point de vue existentialiste une espèce de pêche contre la liberté de l'existant concret.
La notion d'obéissance heurte le monde actuel, à tel point que, comme disait récemment S. Em. le Cardinal Feltin «le seul mot d'obéissance, soulève actuellement dans tous les milieux des mouvements et des reflets psychologiques d'indignation».
Cela s'explique par maintes raisons, mais surtout, par le procès historique que nous avons vécu ces dernières années et qui n'a pas encore terminé. L'homme occidental vient de sortir d'un cauchemar totalitariste mais il se trouve en face de nouveaux monstres étatiques qui menacent encore sa libre existence. Cela lui fait sentir d'une façon plus aigué la valeur de sa liberté et le pousse à défendre avec énergie son intimité personnelle.
De même que beaucoup d'autres théologiens contemporains, le Père Messineo reconnaît dans ce fait un sentiment légitime et noble, et il admet que l'hypothèse contemporaine présente une exigence sociale objective nouvelle en raison de cette conscience vigoureuse, acquise dans la défense de la liberté humaine contre toute contrainte extérieure...
L'obéissance telle que les esprits chrétiens l'ont prêchée depuis vingt siècles serait-elle incompatible avec ce sentiment de la dignité de la personne?
Nous, tous, nous savons bien à quoi nous en tenir à cet égard.
En réalité il n'y a aucune sorte d'incompatibilité entre ces deux notions, à condition naturellement qu'on les prenne dans leurs sens légitime. Une analyse psychologique profonde, mettrait en évidence que la pratique de l'obéissance ne fait que renforcer la conscience de la propre liberté et la liberté elle-même. Les saints ont éprouvé maintes fois ce sentiment ou cette expérience intérieure tout en se livrant à une obéissance crucifiante.
C'est ainsi que Sainte Thérèse, si tourmentée par ses directeurs spirituels, mais toujours soumise et docile, nous raconte comment elle avait reçu en un instant le don de la liberté. «Que Dieu en soit éternellement béni —écrit-elle—... En un instant il me fit don de la liberté que j'avais été impuissante à saisir pendant des années, malgré les tentatives que j'avais faites...».
Dans l'obéissance des saints il n'y a aucune trace d'aliénation. En obéissant à Dieu ils sont et ils se savent, plus que jamais, eux-mêmes.
Un mot profond de Saint Augustin ne nous a pas enseigné que «Dieu est plus nous mêmes que nous-mêmes?»
Au point de vue métaphysique on pourrait de la même façon, montrer que la liberté est faite aussi d'abandon, de dépouillement, de disponibilité. «Celui qui aime sa vie la perdra». Celui qui voudrait s'enfermer dans soi-même pour être soi-même, ne trouverait que le vide, le néant, la nausée. Une certaine nécessité ontologique de dépendance, d'obéissance, est inscrite dans la nature même de la créature contingente.
Or, le don de soi, l'attachement à Dieu, l'amour qui perfectionne la liberté, sont au fond, les fils mêmes avec lesquels l'obéissance est tissée. Il y a donc une certaine affinité de nature entre les deux notions, qui s'exigent l'une à l'autre.
Mais une psychologie et une métaphysique de l'obéissance ne suffiraient pas toutefois pour la faire compréhensible à l'âme contemporaine.
Reconnaissons, que sur un plan purement naturel, l'obéissance ecclésiale serait un absurde.
Si, grâce à la Foi, nous pouvons y comprendre un peu, nous ne devons pas nous étonner de ce que, ceux qui ne possèdent pas le don de Dieu, considèrent l'obéissance religieuse, l'obéissance ecclésiale du prêtre, du religieux, du simple fidèle, comme un non sens.
Il y a donc un problème kerigmatique ardu, car une des tâches des théologiens et des penseurs chrétiens doit consister à présenter au monde l'obéissance, d'une façon intelligible et à lui montrer que, tel que nous la concevons et la vivons surnaturellement, elle ne fait qu'ennoblir notre nature et grandir notre liberté.
C'est possiblement dans ce sens que le propre Cardinal Feltin a affirmé que «toute la question de l'obéissance est à revoir au point de vue théologique, et à préciser».
Revoir la question de l'obéissance et les problèmes qu'elle soulève un peu par tout, dans une perspective théologique, et préciser ses termes, afin qu'elle soit mieux comprise par la pensée contemporaine et par nous-mêmes, voici où je verrais volontiers la contribution de nos Conversations.
Reconnaissons toutefois que le sujet est difficile, plein d'écueils et d'équivoques qui, d'ailleurs, ne manquent dans aucun problème réel et vivant.
On pourrait facilement confondre la vertu de l'obéissance avec des vices et des contrefaçons —dont le Père Taymans nous parlait déjà en 1945— soit qu'on sépare l'obéissance de sa véritable source, qui est l'obéissance à Dieu, soit qu'on lui assigne le caractère de fin et non celui de moyen, soit qu'on veuille réduire toute la vie intérieure à une succession d'actes d'obéissance, soit, enfin, qu'on tâche d'éliminer tout jugement, toute discrimination, de la part du sujet.
Comme le dit le Père Taymans, en se laissant éblouir par certaines modes actuelles, on pourrait se tromper assez facilement, ne reconnaissant pas l'immoralité foncière des systèmes qui anéantissent la personnalité humaine.
Le Saint Père Pie XII, montra dans son discours du 2 Octobre 1945, à la Rote romaine, que les modèles totalitaire et autoritaire qu'il décrivait merveilleusement dans quelques traits, pas plus que le modèle démocratique, ne pourraient pas servir dans le cas de l'Église.
«Le pouvoir de l'Église —a dit le Pape à cette occasion— embrasse l'homme intérieur en même temps que l'homme extérieur et il est ordonné à une fin surnaturelle... Ce pouvoir est étranger à un totalitarisme qui n'admet pas et qui ne reconnaît pas l'appel aux dictats de la conscience... Le pouvoir de l'Église ne prétend pas esclaviser la personne humaine, mais assurer sa liberté et sa perfection, en la libérant des faiblesses, des erreurs et des déviations qui, tôt ou tard, terminent dans la honte ou l'esclavage».
Notre sujet est d'ailleurs extrêmement complexe. Un souci excessif de simplification ne ferait que le gâcher. En face d'une situation comme celle du monde actuel il y a certainement un grand danger à vouloir tout simplifier sous le prétexte de renforcer une action défensive nécessaire et urgente.
Une démonstration de cette complexité là , se trouverait par exemple, dans ce que nous pourrions appeler le «devoir de désobéir», point extrêmement délicat et difficulteux dans la pratique, mais qui a une importance capitale. On ne saurait pas l'oublier sans déformer gravement la notion de l'obéissance. Les théologiens de tous les temps ont affirmé qu'obéir a un ordre de pécher c'est pécher. Dans aucun cas l'obéissance à un ordre injuste pourrait servir d'excuse pour justifier la conduite individuelle. Ce principe a une importance énorme dans le monde moderne quoique il y en a qui feignent l'ignorer.
Le Saint Père a parlé d'une façon catégorique à cet égard, en s'adressant aux juristes italiens. Dans ce discours il s'est occupé du problème de l'application des lois injustes qu'il a qualifié d'angoissant. Peut-être depuis les premiers siècles de l'Église et les persécutions romaines les chrétiens n'ont-ils pas connu, en effet, des situations aussi délicates et difficiles que celles de notre siècle. «Le juge —a dit le Pape— ne peut pas purement et simplement écarter la responsabilité de sa décision et la faire tomber sur la loi et ses auteurs», il ne peut pas, non plus «dicter une sentence qui équivaille á l'approbation d'une loi injuste».
La doctrine exposée para le Pape à l'égard des juges serait extensive aux autres ordres professionnels et aux citoyens. Le fonctionnaire, le militaire, le simple citoyen, aurait donc, dans ces cas plus ou moins exceptionnels, le devoir de désobéir aux ordres injustes, contraires à la loi divine et au droit naturel. Cela exigerait des actes d'héroïsme en face de l'injustice intrônisée, comme il arrive, par exemple, dans les pays où l'Église est persécutée. J'ai dit héroïsme car désobéir est, en général, plus difficile qu'obéir.
Les dernières guerres ont été spécialement le théâtre d'atrocités commises contre des êtres innocents et sans défense; des femmes et des enfants ont été par exemple passés à l'épée. Les auteurs de ces faits ne pourraient pas se défendre d'avoir commis de tels crimes, par la simple raison d'avoir reçu un ordre de leurs supérieurs.
Notre Francisco de Vitoria déclara déjà moral de se refuser aux ordres militaires manifestement injustes, sans admettre même l'excuse de l'ignorance dans le cas où cette injustice là , serait suffisamment claire. Autrement —dit Vitoria— les soldats romains qui ont crucifié Jésus-Christ, seraient aussi excusés par leur ignorance, puisqu'ils n'avaient fait qu'obéir à l'ordre de Pilate».
Un Père dominicain allemand Franciskus-Maria Stratmann, en commentant ce paragraphe de Vitoria, se pose la question de ce qui se serait passé si au dernier moment de la crucifixion un de ces soldats aurait jeté son marteau et son épée aux pieds de son supérieur, en refusant d'exécuter un ordre honteux. «Ce soldat n'aurait-il pas été fêté comme un héros à travers tous les siècles? Cet acte n'aurait-il pas fait de lui un saint? —se demande le Père Stratman.
Si démagogique et paradoxale que cette doctrine puisse paraître à ceux qui ont une conception positiviste du droit et de la loi, elle est parfaitement raisonnable et rassurante.
Car, au fond, même dans les cas extrêmes, c'est l'obéissance qui l'emporte. Le chrétien obéit toujours et si parfois il désobéit, en apparence, il le fait pour obéir á un pouvoir supérieur.
C'est ainsi que le Père Taymans, a pu très bien écrire, que la désobéissance para devoir n'est qu'une forme supérieure de l'obéissance.
Approfondir et faire comprendre toutes ces nuances au monde contemporain n'est pas une tâche facile. Car, nous l'avons vu, l'idée qu'on s'y fait de l'obéissance, comme celle qu'on s'y fait de l'autorité est en général en marge de toute conception religieuse. Dans ces conditions le pouvoir devient facilement tyrannie et l'obéissance, servitude.
Le Saint Père vient de le rappeler dans sa lettre au président, M. Charles Flory, de la Semaine Sociale de Rouen. «Plaise à Dieu, a-t-il écrit, que celui que commande, comme celui qui se soumet n'ait désormais devant les yeux que l'obéissance aux lois éternelles de la vérité et de la justice».
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